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Le jour où je serais devenue écrivain

J’ai écrit mon premier livre à 26 ou 27 ans. Il s’agissait d’un guide pratique sur la recherche d’emploi, paru aux éditions L’Étudiant. D’autres du même genre ont suivi. Des livres de commande, qui ont fait ma joie à l’époque. Car écrire un livre, quel qu’il soit, recèle une part de magie, une force symbolique. Comme un aboutissement. Une petite trace laissée de son passage sur cette terre.

Bien des années plus tard (en 2006 exactement), je publiais Banlieues Créatives aux éditions Autrement. À la différence des premiers, c’est moi qui en aie eu l’idée. L’envie de montrer la banlieue sous un autre jour un an après les émeutes me tenait à cœur. Ce fut un tournant. D’abord, c’est réellement un bel objet. Et puis, cela a marqué le début d’une collaboration riche avec cet éditeur. C’est en effet grâce à Henry Dougier, patron d’Autrement, que j’ai pu mener des enquêtes au long cours sur des sujets devenus mon quotidien de journaliste, comme l’engagement, l’innovation sociale, la démocratie participative, etc. Six autres ouvrages sont parus dans cette maison d’édition et trois autres dans celle qu’Henry a créé après avoir vendu Autrement. Sur des sujets proches que ceux déjà cités, j’ai continué ma route chez d’autres éditeurs et même retrouvé Autrement à l’occasion de la rédaction de Et si on s’engageait, paru en 2020, dont le thème est le service civique. Encore un bien bel objet ! 

Depuis 2006, 17 livres sont sortis. Mais, à aucun moment, je ne me suis considérée comme un écrivain. Et pour cause, ce titre est selon moi réservé aux auteur.e.s de fiction. Et pendant toutes ces années, celle-ci me paraissait inaccessible. Même si je chérissais le souhait de passer le cap un jour, je ne parvenais pas à concrétiser cette envie. Pas d’idées. Pas d’inspiration. Et une incapacité à imaginer une histoire au long cours. 

Et puis, il y eut le déclic. Je l’ai déjà écrit ici et ailleurs. On a murmuré le mot « polar » à mon oreille et tout s’est ouvert. Tels les rouages d’une machine qu’on active, le processus d’écriture s’est enclenché… pour ne jamais s’arrêter (jusqu’à présent). J’ai abouti trois polars et commencé un quatrième. Pendant longtemps, je n’ai pas trouvé d’éditeurs. Là encore, même si je passais mes week-end à écrire de la fiction, je ne pouvais pas me considérer comme un écrivain tant que mes romans restaient à l’état d’un fichier Word. Il y eut des encouragements pourtant, des remarques qui m’ont donné à penser que je ne me trompais pas totalement de voie. Mais de là à me poser cette étiquette sur le front, il y avait un fossé infranchissable. 

La suite, je l’ai également relatée à plusieurs reprises : ma décision de prendre un agent, son intuition de proposer les livres aux Arènes et ma rencontre avec Aurélien Masson. Depuis, je vis un rêve éveillé tant j’aime cette maison et les humains qui la composent. Le compte à rebours est lancé et dans près de cinq mois Le Chat qui ne pouvait pas tourner sortira en librairie. Pour autant, est-ce que je me considère comme un écrivain ? La logique voudrait que je réponde positivement à cette question. La réponse est pourtant bien plus complexe. Comme si je craignais l’outrecuidance ou l’imposture. Comme si je craignais la distance que cette étiquette pourrait créer avec mon entourage ou le changement de regard. Peut-être est-on avant tout écrivain dans le regard des autres ? Car le mot charrie tant de fantasmes et de projections qu’il est difficile d’appréhender ce que l’on provoque en s’affublant d’une telle fonction. Peut-être aussi que l’affirmer, c’est se rendre encore plus vulnérable à la critique et à l’angoisse de ne pas être lu ou apprécié. Le mot pèse lourd et ce poids peut provoquer rancœurs et frustrations.

Bien sûr, il serait faux de dire que ça ne me traverse jamais l’esprit quand je lis sur mon contrat « écrivain », que j’échange avec mon éditeur ou que l’on me dit « Je suis tombée sous le charme de Sterling [mon héros] ». Une sensation ô combien agréable que je ne peux pas bouder et qui ne pourra que s’accentuer avec la sortie du premier opus. Alors peut-être que je déciderai, tel Murakami dans « Autoportrait de l’auteur en coureur de fond », que je suis un écrivain, simplement parce que je raconte des histoires et que je donne vie à des personnages. Et que c’est désormais une part importante de mon activité et de mes revenus (au fond un écrivain, n’est-ce pas simplement une personne qui vit de sa plume ?). Mais, quoi qu’il arrive, j’espère ne jamais oublier qu’ « il y a trois règles à respecter pour écrire un roman. Malheureusement, personne ne les connait. » (Somerset Maugham)

Liste des livres parus : http://www.dhoquois.com/index.php/auteur/