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Etre ou ne pas être quelqu’un !

« On m’a toujours dit… Pour devenir maîtresse, il faut être calé dans toutes les matières. Pour devenir hôtesse de l’air, connaître beaucoup de langues. Pour être guide touristique, maîtriser l’anglais. Pour travailler au Japon, parler japonais. Mais lorsque je dis que je veux intégrer une boite de jeux vidéo ou de production. Alors on me dit… qu’il faut être quelqu’un. Être riche. Être célèbre. Et surtout ne pas être noire. »

Ce texte est le début d’un article rédigé par une jeune fille, vivant dans un quartier. Il devait être associé à d’autres témoignages sur la thématique du travail dans un journal de la collection « Nous, jeunes » que je coordonne aux ateliers henry dougier. Malheureusement, malgré un partenariat avec une association spécialisée et dont le sérieux n’est aucunement en cause, nous ne sommes pas parvenus à réunir suffisamment de textes pour boucler un « 16 pages ». Outre la déception, car les efforts fournis pour arriver à nos fins furent répétés, je trouve fort dommage que le témoignage de cette jeune fille ne soit pas publié, tant il est fort et emblématique de situations tragiques vécues par des jeunes n’ayant pas le « profil de l’emploi ».

Pour ne pas que ce texte soit connu de moi seule, j’en publie ici quelques extraits.

« Depuis que je suis toute petite, j’ai toujours aimé raconter des histoires. Avec l’un de mes grands frères, je jouais souvent aux « bonhommes », comme on les appelait. On inventait des histoires d’aventure, on faisait des matchs de foot à la Olive et Tom. Depuis que je suis toute petite, j’ai toujours aimé raconter des histoires. Avec ce grand frère dont je suis toujours proche, on utilisait n’importe quel jouet et on inventait des histoires fantastiques. Des boutons lumineux pour bébé, c’était une commande pour le vaisseau spatial qu’était mon lit. Des draps étendus sur le lit superposé de mes sœurs, c’était une cabane pour nous. »

« On m’a toujours dit… que si je voulais travailler dans une boite de jeux vidéo ou de production, il fallait être quelqu’un. Être riche. Être célèbre. Et surtout ne pas être noire. Ne pas être moi. Or, les premières personnes à m’avoir dit cela ce sont mes parents. Peut-être moins aujourd’hui, car les temps ont changé mais… je me souviens très bien, lorsqu’au collège au moment où l’on doit décider de son orientation, mon père se raillait de moi quand je lui disais que je voulais faire du dessin pour travailler dans des grandes entreprises de dessins animés. Ma mère me disait que c’était impossible parce que j’étais noire. Et qu’il n’y avait que les Blancs qui pouvaient travailler dans ce genre de boites. Mon père ajoutait : « fait de l’informatique, c’est l’avenir » »…

« Il n’y a pas que mes parents qui ont fait qu’aujourd’hui encore, je me sens « perdue ». […] Non, il n’y a pas que mes parents. Au collège, au moment où l’on doit décider de sa filière et que mes parents n’étaient pas vraiment une aide, je suis allée, à la demande de mon professeur principal, voir une « conseillère d’orientation ». Et telle une séance chez le psy, elle m’écoutait mais ne m’aidait pas. Au final, je parlais plus qu’elle. Et la conclusion de nos séance a été : « si tu veux faire de l’art, y’a le CAP machin, ou le CAP truc ». Ce qui n’avait absolument rien à voir avec ce que je voulais faire. »

« On dit souvent qu’on ne peut pas travailler là où on le veut parce qu’il faut avoir du piston. Avoir de l’argent. Ne pas être banlieusard et surtout ne pas être Noir ou Arabe. C’est vrai. « Les gens d’en haut », les gens qui ont de l’influence, la société ont fait que nous, jeunes banlieusards, on ne peut pas avancer comme on le désire parce qu’on nous met des bâtons dans les roues. Nos parents, nos professeurs, ces gens qu’on appelle « conseillers » ».

« Moi j’ai toujours rêvé de travailler dans le monde du jeu vidéo, dans le cinéma. Avant on me disait qu’il fallait être excellent, ensuite on m’a dit qu’il fallait du réseau. Aujourd’hui on me dit « il faut les deux ». Mais si on a ni l’un ni l’autre… Que faire ? »

« J’ai toujours rêvé de travailler dans le monde du jeu vidéo ou du cinéma. Quand je vois les backstages et les séries, je sais que c’est un monde dur qui n’est pas fait pour tout le monde. Mais je sais aussi que j’ai déjà essayé de changer de voie et que je finis toujours par revenir vers celle-ci. J’ai essayé de faire de l’informatique réseau/développement, mais ça ne plaisait pas. J’ai essayé d’être vendeuse, d’être commerciale, mais ça ne me plaisait pas. L’économies, les chiffres, ça me donne mal à la tête. L’administration me donne envie de cogner n’importe qui… Alors que faire quand seuls les jeux vidéo et le cinéma réunissent TOUT ce que j’ai le plus envie de faire ?Jusqu’à aujourd’hui je me le demande. »