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Hors normes

Confinement oblige, je rattrape mon retard sur les sorties ciné de l’année dernière. Dimanche après-midi, je regarde Hors normes, le film d’Éric Toledano et Olivier Nakache sur deux associations, La Voix des justes et L’Escale (leurs noms dans le film) : la première prend en charge des autistes dont aucune institution ne veut, la seconde insère des jeunes issus de quartier en les faisant travailler pour la première. La Voix des justes est dirigée par un Juif pratiquant, L’Escale par un arabe musulman. Les deux, en totale harmonie, font de leur mieux pour soulager les familles, faire progresser les jeunes autistes ou les sortir des quatre murs d’hôpitaux où ils sont enfermés. Oui, mais voilà, La Voix des justes n’a pas toutes les autorisations administratives nécessaires pour mener ses actions. Alors l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) enquête et interroge institutions, familles, partenaires de l’association, donnant lieu à des dialogues criant de justesse. Telle la cheffe de service d’un hôpital accueillant des personnes en situation de handicap qui explique avoir alerté l’équipe de La Voix des justes sur ses pratiques hors des clous et les risques encourus. Et de conclure : « ils ne nous ont pas écouté et ils ont eu raison ». Car ce que l’institution ne peut pas faire, une association le peut : moins soumise à des protocoles, elle innove, s’adapte, fait du sur-mesure… 

L’histoire est vraie. Les deux associations existent bel et bien. On voit à la fin du film des images de Stéphane Benhamou et Daoud Tatou qui ont inspiré les personnages joués par Vincent Cassel et Reda Kateb. On peut aussi lire des extraits des conclusions de l’enquête de l’IGAS qui à titre exceptionnelle a autorisé La Voix des justes à exercer. Parce que les « cas complexes » dont ils s’occupent, personne n’en veut ! 

Je connais bien le monde associatif depuis longtemps. J’ai beaucoup écrit sur ce sujet et j’ai expérimenté à deux reprises le travail dans ce secteur. Cela m’a inspiré un polar, Homo associatus, dans lequel je pointe les dérives possibles liées notamment à des egos hypertrophiés, des pouvoirs non limités, des postures de « sauveurs de l’humanité » délétères, etc.

Mais, je suis aussi convaincue du génie de ce secteur. Les structures décrites dans Hors normes en sont de merveilleux exemples. Il y en a bien d’autres. Je viens de finir d’écrire un livre sur le service civique (sortie initiale début avril, repoussée sine die). Parmi les personnes interviewées figure Marie Trellu-Kane, présidente et co-fondatrice d’Unis-Cité, l’association qui a importé le service civique des États-Unis. Elle témoigne dans le livre : « ce qui est beau dans l’histoire du service civique, c’est qu’il a été inventé par la société civile, souvent innovante quand il s’agit d’imaginer des dispositifs. Et c’est la raison de son succès car l’idée émane du terrain. Cela prouve que l’engagement peut donner naissance à des politiques publiques ambitieuses ». Je rajouterai que dans ce cas de figure l’institutionnalisation de la pratique n’a pas dévoyé le dispositif qui a en grande partie gardé son supplément d’âme. 

Hors normes est un film tendre, humain, sensible. Une bouffée d’air salvatrice en cette période compliquée où l’humanité s’interroge sur les erreurs commises et le monde d’après. Je ne sais pas très bien à quoi il ressemblera. Je sais seulement que nous aurons ô combien besoin de Stéphane et de Daoud pour nous montrer la voie des justes.