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De l’air et des plumes

Depuis vingt-cinq ans que je travaille sur les quartiers populaires, je pourrais être blasée et lassée d’arpenter ces territoires. Et c’est tout le contraire qui se produit. J’ai la chance de mener des actions d’éducation aux médias et d’accompagnement à la création de supports éditoriaux divers dans le cadre de ma résidence de journaliste et en tant que coordinatrice de la collection de journaux « Nous, jeunes ». Et je suis encore aujourd’hui régulièrement émerveillée par les talents que je croise et les belles plumes que je découvre. Comme autant de souffle de vie – un bout de ciel bleu dans des univers parfois gris –  que j’aspire et qui donne du sens à ce que je fais.

Quelques exemples parmi d’autres. Lors d’ateliers mêlant initiation à la boxe et au slam, animés à la médiathèque Colette à Épinay par Audrey Chenu, je fais la connaissance de deux jeunes filles. Je remarque d’emblée leur aisance à l’écrit et leur profondeur. Les deux lycéennes me font alors part de leur goût immodéré pour ce mode d’expression. L’une a même écrit un roman et me demande conseil pour trouver un éditeur. L’autre semble écrire comme elle respire. Un besoin vital. Elles me font lire leurs textes. S’y dévoilent des fêlures, des combats (dont le féminisme), des émotions authentiques. Je suis touchée. 

Pas très loin de là, à Pantin, j’encadre un groupe de jeunes, suivis par la mission locale, pour réaliser ensemble un numéro de la collection « Nous, jeunes ». Leur fragilité est palpable, leur vie compliquée, émaillée de drames pour certains. La plupart sont enthousiastes à l’idée de ce travail. Très vite, je suis abreuvée de leurs créations, l’un écrit un rap qui relate son parcours, de l’Algérie à la France, un texte torturé, percutant, poignant aussi, qu’il a écrit d’une traite. Une autre m’envoie une longue série de compositions dans lesquelles elle confie ses peines, ses douleurs et ses colères. On retravaille ensemble certaines de ces pépites, brutes tel des diamants cabossés. La force de vie et d’envie de cette jeune fille, qui souhaite devenir écrivaine, est communicative. Bien sûr, l’écriture n’est pas toujours le seul mode d’expression choisi et lors de ces différentes missions je croise aussi d’autres formes de créativité à fleur de peau. Je pense à ce jeune garçon du groupe de Pantin, dont le handicap est invisible. Il s’est pris de passion pour Photoshop et réalise des images étonnantes en mixant des dessins, des couleurs, des formes… Un vrai travail d’artiste ! Enfin, lors d’une initiation à l’interview sonore pour des pré-ados que je mène avec une consœur dans un centre social d’Épinay, se révèlent une fois le micro branché des talents d’intervieweur auxquels se mêle une aisance vocale et technique pour réaliser une voix off et y associer de la musique. Je suis bluffée. 

Touchée, bluffée, émerveillée… La richesse de ces rencontres me conforte dans mon envie de continuer ce combat contre les préjugés dont souffrent encore et toujours les jeunes de banlieue. Partager avec eux l’amour des mots et de l’écriture, quand celle-ci devient une nécessité pour mieux appréhender la vie, est un plaisir sans cesse renouvelé. Un plaisir dont on ne peut pas se lasser.