Résidence de journaliste : fin de partie ?
Il y a près de trois ans, je m’engageais dans un dispositif, coordonné par les Directions régionales des affaires culturelles (DRAC), répondant au nom de « résidence de journaliste ». Le mot « résidence » n’est pas sans rappeler celui utilisé pour les artistes quand ils sont accueillis dans un lieu afin de créer, exposer, répéter… En l’occurrence, il s’agit de se mettre à la disposition d’un territoire (une ville située en zone prioritaire dans la plupart des cas) pour mener avec ses acteurs (association, centre social, collège, médiathèque…) des actions d’éducation aux médias et/ou de les accompagner dans un projet de création de journal, de blog, de webradio… Le concept a été élaboré suite aux attentats contre Charlie Hebdo, l’idée étant de favoriser la rencontre et la collaboration entre journalistes et jeunes de quartier.
C’est mon ami de longue date, Philippe Merlant, lui-même en résidence dans deux villes du Val-de-Marne durant près de quatre ans, qui m’a incité à candidater. Le principe en effet ne pouvait que me séduire. Depuis vingt-cinq ans que j’exerce ce métier, j’ai participé à la création de plusieurs médias citoyens, beaucoup écrit sur les quartiers populaires, animé nombre d’ateliers d’écriture avec des jeunes de ces territoires stigmatisés… Bref, la résidence semblait une suite logique !
Lorsque j’ai rencontré la DRAC la première fois, je leur ai proposé de mener ma résidence à Stains, ville de Seine-Saint-Denis, où je me rends régulièrement. J’avais préalablement pris contact avec l’une des plus importantes associations stanoises dont je suis le travail depuis très longtemps. L’APCIS a adoubé ma démarche, désireuse de créer un journal sur le quartier du Clos-Saint-Lazare avec d’autres structures locales. Il m’importait en effet de vérifier que cette résidence n’était pas hors sol et correspondait à un vrai besoin des acteurs de terrain. L’Institution culturelle a validé et y a associé Épinay-sur-Seine, que je ne connaissais pas du tout.
J’ai commencé à labourer le terrain des deux villes à la rentrée 2018. En cette année 1, j’ai rencontré énormément de personnes pour proposer mes services, participé à des évènements divers et variés, animé des formations… Des projets de journaux ou de blogs ont alors commencé à émerger. Certains ont vu le jour en année 2, et parfois en année 3. La pandémie a en effet stoppé net une dynamique pas toujours simple à enclencher ou à maintenir. De fait, les structures de proximité ont le nez dans le guidon en permanence. Peu de temps à consacrer à la création d’un média qui vient s’ajouter à leurs urgences quotidiennes… malgré les bonnes volontés et la conviction que ce type de démarche peut favoriser des partenariats locaux, influer positivement sur la vie d’un quartier et celle des habitants. En collaboration avec le conseil citoyen de Stains, le numéro 1 de la gazette visant à apporter des informations ciblées à une population précaire que l’APCIS appelait de ses vœux a bien été éditée. Le résultat est fort qualitatif. Mais nous n’avons pas réussi à garder le cap et le numéro 2 n’est jamais sorti. À Épinay, animée par un état d’esprit similaire, j’ai tenté de rassembler les conseils citoyens de trois quartiers rivaux. Des rixes y ont régulièrement cours, opposant notamment Orgemont au centre-ville. Malgré plusieurs rencontres et réunions, la proposition de créer ensemble un média, symbole d’apaisement (et message positif envoyé aux jeunes), n’a pas pu se concrétiser tant les préjugés sont ancrés… Dommage ! J’ai un temps imaginé traiter cette thématique avec d’autres acteurs de la ville, mais par manque de temps, le projet n’a pas vu le jour.
D’autres, en revanche, ont abouti grâce à la motivation de mes interlocuteurs et à leur conviction que le projet de média enrichissait/servait leurs initiatives. Il en va ainsi du journal d’un centre de loisirs, d’un autre réalisé avec les médiathèques d’Épinay et l’association Epigraph’ sur une série d’ateliers dédiés au slam et à la boxe… Un site (avec des jeunes d’Épinay) et deux blogs (avec des collégiens d’Évariste Galois et des membres du Conseil municipal des enfants de Stains) ont également ouvert. Et même s’ils ne sont pas tous finalisés, les séances de travail ont été riches et stimulantes, révélant parfois des talents bien cachés. Une proximité qui a permis de tisser des liens particuliers, de mener des actions aux long cours, de vivre la réalité des acteurs associatifs ou des enseignants, de se prendre dans la figure « êtes-vous islamophobe ? » (question posée par un collégien lors d’un échange avec sa classe), de débattre de la pertinence de préciser dans un reportage décrivant un square de Stains que les femmes présentes sont voilées, etc. Être au plus près du terrain et des habitants, c’est l’immense avantage de ce dispositif. De quoi mieux appréhender le rapport à l’information, aux médias, aux journalistes des habitants des quartiers… De quoi aussi faire bouger les lignes en rendant le dialogue possible sur l’amour du métier et ses exigences ou en privilégiant l’éducation aux médias « par le faire » (via le reportage oral, l’écriture de brèves, la conduite d’une interview…), en les confrontant aux questions d’objectivité, de hiérarchisation, de responsabilité, etc. Il m’est également arrivé d’animer des ateliers d’écriture plus poétique avec des enfants et des adolescents. Le résultat m’a souvent bluffé.
Alors que la résidence à Stains et Épinay s’achève (sans savoir à cette date si je rempile ailleurs ou sous un autre format), le bilan est en demi-teinte tant j’aurai voulu faire plus. La crise sanitaire n’a pas aidé. Les élections municipales non plus, les villes étant par ailleurs tentées de nous considérer comme des agents de leur communication. Reste que je suis convaincue de la pertinence d’un tel dispositif, ce type de démarche contribuant à faire vivre notre démocratie tout en nous permettant de défendre des valeurs et un certain type de journalisme, celui qui n’est malheureusement pas le plus visible !